Belle-doche

Belle-doche, c'est le rendez-vous bi-mensuel qui permet de mieux comprendre la belle-maternité et qui donne la parole à ces femmes qui élèvent les enfants des autres

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Par Anaïs Richardin
29 févr. · 12 mn à lire
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Hors-série "Sur le plan juridique, les beaux-parents n’ont en principe aucun droit"

- vers un statut juridique pour les beaux-parents ? -

Bonjour à toutes et à tous !

On en parlait déjà dans la dernière édition de Belle-doche, nous beaux-parents, juridiquement parlant, ne sommes rien. Que tchi, macache oualou, nada. Pourtant, vous-même vous savez qu’au quotidien, on est bien loiiiin de n’être que d’insignifiants personnages secondaires. Il y a bien eu quelques tentatives de législation du statut du beau-parent mais que voulez-vous, en France il est visiblement plus important et plus urgent d’interdire l’usage des termes “steak" et “jambon” pour les recettes vegan que de nous accorder des droits (on ne va pas parler politique mais je suis scotchée par le sens des priorités de ce gouvernement à la mords-moi le noeud). Saviez-vous qu’en 2014 une proposition de loi a tout de même été faite par le Parlement pour créer « un mandat d’éducation quotidienne » afin de faire reconnaitre des droits quotidiens au beau-parent ? La proposition de loi a été votée à l’Assemblée nationale mais s’est perdue dans les limbes du Sénat depuis. C’est couillon parce que d’autres pays sont plus avancés que nous sur le sujet, à l’instar de l’Allemagne, du Danemark, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de la Suisse ou de la Suède où les beaux-parents ont un véritable statut juridique. On n’aime pas toujours être les pionniers alors on pourrait juste copier sur les copains, mais non. 1 million de beaux-parents (environ parce qu’on est archi mal comptabilisés) c’est pas super important non plus 🤷🏻‍♀️.

Mais si la loi ne veut pas de nous, il y a tout de même des pistes à explorer pour avoir voix au chapitre. Julie Auvillain, avocate en Droit international de la famille, dont vous découvrirez l’interview ci-dessous, se bat ainsi pour “alimenter des cercles vertueux” dans les divorces qu’elle traite, ce qui signifie, parfois, faire intervenir les beaux-parents. “Il y a de vrais blocages et des croyances liées aux craintes des uns et des autres. Il me semble primordial d’améliorer l’image de la belle-mère et l’image qu’a la belle-mère de l’ex […] J'essaie aussi de sensibiliser les papas sur le rôle qu’il serait bien qu’ils jouent auprès de leur compagne”, nous explique-t-elle. “Amen” ai-je envie de lui répondre.

Mais avant d’en arriver à la case “avocat·e” (si on le peut), il y a quelques bonnes idées à aller piocher chez les autres (et chez les familles queer en premier lieu). Dans son essai “Nos amitiés puissantes”, paru en janvier 2024, l’autrice Alice Raybaud a rencontré des “coparents platoniques” qui ont décidé de faire famille sans passer par l’étape -tout à fait optionnelle donc- de la relation amoureuse. Pour construire leur famille de la manière la plus apaisée qui soit, ils ont pris le temps de réfléchir et de rédiger une charte de coparentalité sur des sujets aussi bien organisationnels qu’éducatifs. Ils se sont posé les questions que peu de couples qui suivent un processus plus normé se posent (ça pourrait pourtant nous aider à éviter un paquet de conneries). Ils ont également eu une idée que je trouve vraiment puissante : ils ont créé un “comité de conciliation”. Composé de trois ami·es, il a été pensé pour aider les parents à prendre des décisions dans l’intérêt de l’enfant, notamment en cas de tensions au sein du binôme parental. Madeleine, la mère, estime qu’”il faudrait une instance de ce type et cette implication d’autres adultes référent·es pour tous les projets de parentalité”. J’ai envie de dire “Amen bis” Madeleine (mais cette newsletter prendrait alors un tour religieux qui ne me ressemble pas beaucoup). Guess what, ces autres adultes référent·es existent déjà dans nos familles composées (j’ai décidé de supprimer le RE de recomposées parce que “relent” commence pareil, or j’estime qu’on peut s’offrir un peu mieux qu’une famille qui sent le renvoi de déjeuner). Je suis persuadée que l’on peut aider, et que l’on aide déjà nos beaux-enfants à grandir différemment. Mais pour que cette relation se construise de manière apaisée et sereine pour tout le monde, il est grand temps que notre réalité de parent bonus soit reconnue, par nos compagnes et compagnons, par leurs ex surtout, et par la loi si un jour on y parvient.

J’ai envie de conclure en vous envoyant de l’énergie pour lutter, pour ce que l’on vient de se dire plus tôt (oui j’ai bien conscience qu’un édito est un monologue) mais aussi pour tout ce dont vous avez besoin au quotidien pour être (au moins un peu) heureux et heureuses de vous lever le matin.

Bonne lecture et à dans deux semaines  ✊🏽


Julie Auvillain est avocate en Droit International de la famille. Elle revient sur la place juridique qu’ont, ou n’ont pas, les beaux-parents aujourd’hui et appelle à plus de médiation pour favoriser des compositions familiales plus sereines.

Quelle place ont les beaux-parents dans le Droit aujourd’hui ?

Sur le plan juridique, les beaux-parents n’ont en principe aucun droit, ça on le sait tous. Du côté du Juge aux Affaires Familiales (JAF), la place du beau-parent n’existe pas réellement non plus. La seule chose qui nous intéresse, nous acteurs du Droit, c’est de savoir si un des deux parents partage ses charges avec une autre personne ou pas. Le beau-parent a donc surtout une place économique, ce qui est assez choquant. Le Juge ne demande pas combien gagne le beau-parent mais plus concrètement, la question est par exemple de savoir, pour le cas où le parent vit dans un logement pour lequel le loyer s’élève à 1 500 euros par mois, s’il le divise et ne paye que 750 euros par mois. Si tel est le cas, il lui reste ainsi un disponible plus important et peut donc, potentiellement, payer une pension alimentaire plus importante pour les enfants. Il est important de comprendre que les beaux-pères et belles-mères n’apparaissent pas directement au dossier.

Une autre possibilité peut aussi correspondre à la présence des beaux-parents à la sortie de l’école, car le Juge peut prévoir qu’il appartient au parent ou à « tout tiers digne de confiance » d’aller chercher et ramener les enfants à l’école. Si les deux parents sont implicitement d’accord ou autrement dit que l’autre parent n’exprime pas son désaccord, alors la belle-mère ou le beau-père peut aller chercher et ramener les enfants à l’école. C’est une marque de confiance très souple accordée aux beaux-parents, qui repose sur la bonne entente entre les parents. Exceptionnellement, le seul cas où les beaux-parents peuvent avoir une place juridiquement « officielle », c’est lorsque l’un des deux parents décède et qu’ils obtiennent la fixation de la résidence des enfants à leur domicile ou un droit de visite et d’hébergement afin de maintenir le lien entre le beau-parent qui a élevé les enfants et les enfants. L’idée est de permettre aux enfants qui vivent un deuil de maintenir le plus possible leurs repères en les déstabilisant le moins possible. La délégation d’autorité parentale partielle ou totale peut aussi être envisagée si l’autre parent n’est pas en capacité de s’occuper de l’enfant.

Quels recours ont les beaux-parents pour être juridiquement reconnus dans leur rôle ? 

Je recommande d’engager une procédure d’adoption simple, qui nécessite tout de même l’autorisation des deux parents, que l’enfant soit majeur ou mineur. Le beau-parent devient alors un co-parent et partage l’autorité parentale sur les enfants mineurs. J’ai traité quelques dossiers pour l’adoption d’enfants majeurs et dans la plupart des cas, c’est une procédure qui facilite la transmission de l’héritage du parent adoptant. J’ai toutefois eu une “enfant” majeure, qui avait 38 ans. Ses deux parents étaient défaillants et elle avait été élevée par sa marraine. Sa marraine s’est mariée à une femme et elles ont toutes les deux continué à s’occuper d’elle, elles ont été présentes à tous les moments de sa vie. Et pendant la période Covid, elles ont douloureusement réalisé que si l’une d’entre elles avait des difficultés de santé, elles ne pourraient pas faire rapatrier leur fille qui vivait alors à Londres et la fille a aussi réalisé que si elle devait prendre une décision pour ses mères, elles ne le pourrait pas. Elles n’avaient aucun lien juridique entre elles et par conséquent, ni droit, ni devoir, les unes envers les autres. L’adoption simple leur a permis de créer un lien de filiation et cela a engendré des droits et des obligations. Cela arrive souvent dans le cas des familles recomposées, une fois que les enfants sont majeurs. 

Ce qui est tout à fait compréhensible. Dans toutes les familles recomposées que j’ai croisées, les enfants adoptés avaient grandi aux côtés de leur belle-mère ou de leur beau-père et avaient en partie été élevés par eux. On voit aussi que la demande provient souvent des enfants. Cela leur semble très naturel d’avoir un lien de filiation avec la personne qui a pris soin d’eux, les a aidés à grandir, a financé une partie de leurs études, etc... Les attestations de leur entourage sont éloquentes : ils témoignent tous d’un comportement mère/fille ou père/fille entre les adoptant(e)s et les adopté(e)s. En revanche, lorsqu’ils sont mineurs, dans la mesure où l’adoption change la donne par rapport à l’autorité parentale, c’est plus compliqué.

“J’aurais tendance à dire que lorsque la situation est compliquée, ils font profil bas et essayent de soutenir leur conjoint et les enfants tout en restant dans l’ombre”

De ce que vous avez pu observer, les beaux-parents se battent-ils pour obtenir plus de droits ? 

Je n’ai aucune demande de la part de belles-mères ou de beaux-pères. Je n’ai jamais été contactée pour obtenir l’autorité parentale, par exemple. J’aurais tendance à dire que lorsque la situation est compliquée, ils font profil bas et essayent de soutenir leur conjoint et les enfants tout en restant dans l’ombre. Ou alors, mes clients les laissent à part pour les préserver. Dans le cas de familles recomposées, mes clients sont les parents, et même s’ils sont en couple depuis X années, ils me disent généralement “c’est difficile avec mon ex”.  Dans ma pratique d’avocate ou de médiatrice généraliste, j’ai toujours la même approche qui est de dire qu’en cas de séparation, surtout quand il y a des enfants mineurs, on va tout faire pour éviter la “guerre” et faire en sorte que cela se passe bien. Si pour un couple de parents, ce n’est plus possible d’avancer ensemble, on va faire les choses bien pour que cela se passe dans de bonnes conditions pour les enfants et pour eux aussi. Si les enfants sont bien, les parents sont bien et réciproquement. J’aime encourager mes clients à alimenter des cercles vertueux. A mon avis, cela est plus que bénéfique et constructif.

Alimenter des cercles vertueux” veut-il dire d’inclure aussi le beau-parent dans les discussions ?

Quand il y a un nouveau compagnon ou une nouvelle compagne, je propose parfois qu’ils interviennent. Je l’ai fait une fois parce qu’il y avait une difficulté importante avec la nouvelle compagne du papa qui ne trouvait pas sa place. Ma cliente, qui était la maman, et qui voulait absolument donner une place à la belle-mère, ne comprenait pas la position d’éloignement de cette dernière. Ma cliente avait connu le divorce de ses propres parents et avait toujours vu sa mère accueillir avec bienveillance sa belle-mère aux fêtes de famille (Noël et anniversaires des enfants). Elle avait envie de reproduire cela avec la nouvelle compagne de son ex-conjoint. Cependant cette dernière s’y refusait et ma cliente restait perplexe face à ce refus d’ouverture, alors qu’elle pensait agir dans l’intérêt des enfants. La nouvelle compagne, avec qui l’ex-conjoint de ma cliente a eu une petite fille, voulait cloisonner et ne voulait pas du tout que l’ex-compagne entre dans le paysage. Elle ne voulait pas non plus que ma cliente voit la chambre de ses filles, par exemple.

“Avant de pouvoir discuter d’argent, il était crucial que chacun trouve sa place et gagne en sérénité”

Il y avait aussi un gros problème d’argent, le papa gagnait très bien sa vie mais les fins de mois étaient raides ; ma cliente avait l’impression que tout son argent passait dans sa nouvelle famille et la nouvelle compagne pensait que tout l’argent était alloué aux filles de ma cliente. On a donc fait une médiation pour décider qui allait contribuer à hauteur de combien pour les deux filles. On a fait les comptes, on a tout remis à plat et on a inclus la nouvelle compagne, qui payait 100% du loyer du nouveau couple et des dépenses pour leur enfant. Elle a participé au tout début de la séance, elle était très en colère et on sentait qu’elle n’arrivait pas à trouver sa place, de ne pas se faire respecter. On lui a demandé quelle place elle voulait prendre. Cela lui a permis de s’exprimer, puis à son compagnon et à ma cliente de comprendre la position de la belle-mère des enfants. Ce qui a été flagrant, c’était de constater que chacun était de bonne volonté et n’avait aucune intention de nuire à qui que ce soit. Lui n’arrivait pas à dialoguer avec sa nouvelle compagne qui voulait qu’elle éloigne ma cliente de leur nouvelle vie de famille. Ma cliente insistait pour qu’il assume son rôle de père et paye équitablement avec elle pour leurs deux filles. Elle avait très peur qu’elles soient délaissées par leur père qui avait refait sa vie et priorisait « peut-être ? » sa nouvelle famille. Et le père ne prenait pas sa place puisqu’il ne disait non à personne et se retrouvait dans une position très inconfortable, accablé de reproches de toute part, voire paralysé. On a discuté de tout cela tous ensemble et ma cliente a compris que ce n’était pas contre elle. Ma cliente a commencé à respecter le souhait de la nouvelle compagne du père de leurs filles. Ils se sont donc mis d’accord pour différencier les deux entités familiales et ont rééquilibré les budgets de chacun équitablement. La loi prévoit que les parents contribuent à hauteur de leurs ressources (revenus – charges vitales). Avant de pouvoir discuter d’argent, il était crucial que chacun trouve sa place et gagne en sérénité.

Les beaux-parents peuvent-ils faciliter certains dossiers ?

J’ai fait une autre médiation avec une belle-mère et une mère, c’est un cas peut-être un peu extrême mais intéressant. Un couple, avec une petite fille, se sépare. Lui avait déjà eu une fille avec une précédente femme et ils étaient restés en très bons termes. La première ancienne compagne était le médiateur du second couple parental désormais séparé. Le papa avait des problèmes personnels et d’alcoolisme quand la deuxième compagne s’est séparée de lui. Elle savait qu’il fallait adapter les deux gardes, mais elle n’avait pas envie de lui laisser leur fille, au vu de ses difficultés. J’ai fait intervenir la première ex-compagne et il a été décidé que le père partirait en vacances chez elle avec ses filles. Cela a convenu à tout le monde. Le fait que le papa aille en vacances chez sa première ex/la mère de sa première fille permettait aussi que les deux filles passent du temps ensemble. Cela a rassuré la seconde ex/la mère de sa deuxième fille et satisfait la première équipe parentale.

“Il y a de vrais blocages et des croyances aussi liées aux craintes des uns et des autres. Il me semble primordial d’améliorer l’image de la belle-mère et l’image qu’a la belle-mère de l’ex, bien que j’ai conscience que ce ne soit pas simple !”

C’est beau de voir comment mères et belles-mères peuvent collaborer mais ce n’est pas toujours simple…

Je réfléchis beaucoup à tout ça et je me demande comment faire pour que l’ex et la nouvelle compagne s’entendent bien. En France, ou dans les pays latins, l’ex n’est jamais vraiment la bienvenue. Alors qu’en Allemagne par exemple -j’interviens dans beaucoup de dossiers franco-allemands- c’est très différent. J’aimerais bien que les mentalités évoluent par rapport à ça et je travaille sur ce sujet quand j’ai de nouveaux dossiers. Si Monsieur est mon client, je lui demande comment ça se passe avec la nouvelle compagne et les enfants et si Madame est ma cliente, j’essaie de travailler sur l’acceptation de la belle-mère. J’essaie de travailler sur les craintes des mères, pour qu’elles réalisent qu’en réalité elles ont peur de se faire piquer leur place de maman, que les enfants aiment plus leur belle-mère qu’elle et enfin peur que la belle-mère ne s’occupe pas bien d’eux aussi. 

La belle-mère, de son côté, a peur de l’ex, qui a une place très importante puisqu’elle est la mère des enfants. La mère a un vrai pouvoir de décision et une forte influence sur les enfants. Et les enfants lui vouent un amour inconditionnel. La belle-mère, à son tour, a aussi peur de ne pas être aimée par les enfants de son nouveau compagnon, alors que son objectif est de les choyer pour qu’ils se sentent bien et que la séparation de leurs parents, pour laquelle, il n’y sont pour rien, se fassent en douceur. Le papa, lui, a peur de laisser de trop de place à son ex et que sa nouvelle compagne le prenne mal. Il a aussi peur que la mère de sens enfants lui reproche de ne pas bien s’occuper des enfants en l’ayant remplacée par une autre femme qu’elle ne connaît pas et qui pourrait être moins bien/mieux qu’elle. Les enfants, quant à eux, craignent de blesser leur maman, s’ils s’entendent bien avec leur belle-mère. 

Il y a de vrais blocages et des croyances aussi liées aux craintes des uns et des autres. Il me semble primordial d’améliorer l’image de la belle-mère et l’image qu’a la belle-mère de l’ex, bien que j’ai conscience que ce ne soit pas simple ! J'essaie aussi de sensibiliser les papas sur le rôle qu’il serait bien qu’ils jouent auprès de leur compagne. Je crois que, dès le départ, il est très important de fixer un cadre, dire qu’elle est la place de chacun et de chacune : savoir si la nouvelle compagne aura le droit d’éduquer les enfants ou pas, de prendre une décision pour le nouveau schéma familial. Il serait bon de trouver un accord entre le père et les enfants, entre les enfants et la belle-mère et si possible un accord entre le papa, la maman et la belle-mère. Ce sont mes schémas de réflexion ! J’essaie d’ouvrir les yeux à tout le monde et j’essaie de leur faire comprendre que ce serait bien de fonctionner en bonne intelligence dans l’intérêt de tous. 

Quelles évolutions avez-vous pu observer au sein de la famille au cours de votre carrière ?

La séparation est plus acceptée aujourd’hui. Il y a moins d’animosité, parfois c’est plus une question d’organisation qu’autre chose, cela devient plus courant. J’ai des dossiers de gens un peu plus jeunes entre 30 et 40 ans, qui se séparent, qui divorcent et qui ont vu leurs parents divorcer de façon douloureuse et qui ne veulent pas de cela. Et je leur dis : « cela arrive à tout le monde de se séparer ! ». Comment faire pour que cela se passe bien ? Je suis assez sidérée de voir que parfois les avocats mettent de l’huile sur le feu, ils saisissent le Juge, ils font du contentieux, ils dénigrent l’autre parent. Ils veulent gagner la bataille coûte que coûte. Ce n’est pas ma vision des choses. Je le dis d’ailleurs au premier rendez-vous, “je vais assurer la défense de vos intérêts mais je vais aussi m’intéresser aux besoins de votre ex, et de vos enfants, car si votre ex ou les enfants ne sont pas bien, vous ne serez pas bien”. Dans l'intérêt de la famille élargie, je leur dis tout de suite qu'il faut réfléchir de manière globale. Et puis s’ils veulent faire la guerre à l’autre, on est 35.000 avocats à Paris, la porte est là ! Je favorise la mise en place d’un nouveau mode de communication entre les gens qui se séparent, on ne va pas pourrir la vie de l’ex, on va essayer de mettre en place des repères constructifs. J’essaie de les rassurer et de prendre en compte tous les éléments intérieurs et extérieurs. 

“On ne sait pas de qui on parle, si c’est la mère de Monsieur ou celle avec qui il partage sa vie. L’idée ce n’est pas d’être une maman bis en plus, puisqu’il y a généralement déjà une maman. L’idée est d'être un adulte référent autre”

Y compris la belle-mère donc ?

Oui ! Mais pourrait-on arrêter avec ce nom ? Je n’ai pas bien réfléchi au sujet mais il faudrait vraiment trouver un autre terme. On ne sait pas de qui on parle, si c’est la mère de Monsieur ou celle avec qui il partage sa vie. L’idée ce n’est pas d’être une maman bis en plus, puisqu’il y a généralement déjà une maman. L’idée est d'être un adulte référent autre. C’est un adulte bonus, une personne de confiance. Il n’y a pas de lien de sang et que ce soit « belle-mère » ou « beau-père », pour moi ça ne va pas du tout. Souvent, les enfants donnent eux-mêmes un surnom à leur belle-mère ou à leur beau-père ou alors ce sont eux qui pourraient proposer un nom affectueux. Cela pourrait faire partie du cadre à poser dès le départ.

Est-ce qu’on pourrait imaginer des droits spécifiques pour les beaux-parents ? Comme le prévoyait le mandat d’éducation quotidienne qui a été enterré en 2014 ?

J’aurais peur que ça complique encore plus la situation. Gérer les choses à deux peut déjà être compliqué mais alors à trois, voire quatre, je n’imagine pas. Je pense que ce sera possible dans 15/20 ans quand tout le monde aura accepté cette situation. Aujourd’hui, il y a un accord tacite entre les parents pour que les beaux-parents aient un rôle dans la vie de leurs enfants, même si, souvent, ce sont les pères qui ne sont pas d’accord pour que le beau-père aille chercher les enfants à l’école, par exemple. Ils se disent “il vaut mieux vaut que ce soit moi, plutôt qu’un inconnu”. 

Je prône aussi énormément la médiation pour que l’on détermine des accords sur mesure pour les parents. Je suis là pour les accompagner à trouver leur terrain d’entente, qui conviennent à toutes et à tous. C’est aussi pour ça que je fais intervenir les nouvelles compagnes, ça ne sert à rien de ne parler qu’au père, si, en rentrant chez lui, il se rend compte que ce qui a été décidé ne convient pas du tout à la personne, avec laquelle il partage sa vie. On parle d’équipe parentale pour les deux parents, c’est le nouveau terme à la mode, et bien, pour moi dès qu’il y a un nouveau conjoint, c’est une équipe élargie. C’est important que chacun et chacune sache où est sa place. Après, il est hors de question que la belle-mère soit identifiée comme une sauveuse, la belle-mère a aussi sa vie. Elle aide son nouveau compagnon et elle peut rendre service mais si je devais être l’avocate d’une belle-mère, je lui dirais de faire attention à ne pas être l’esclave de sa famille recomposée. Il faut un rééquilibrage au sein des nouvelles familles. Je suis sûre qu’il y a des belles-mères qui mettent leur carrière entre parenthèses pour élever leurs beaux-enfants. 

“C’est en train de changer mais quand il y a séparation et qu’il n’y a pas de mariage, les femmes sont très souvent plus lésées que les hommes”

Quels sont les bons réflexes, juridiques ou non, à avoir quand on se lance dans l’aventure de la “recomposition” ?

Il faut que le couple aille voir un notaire ou un avocat quand il y a un achat immobilier, notamment, mais aussi pour préparer sa succession. Il faut préparer cela au début d’une relation, pas à la fin. Surtout si l’un des deux est déjà propriétaire. Un client est venu me voir, il avait divorcé, vivait avec une nouvelle femme et voulait être sûr qu’elle ne serait pas lésée si elle venait vivre chez lui et qu’elle lui payait une partie du crédit immobilier qu’il avait souscrit. Si une femme paye une partie du crédit, il faut qu’elle ait des droits sur ce bien immobilier et donc faire modifier le titre de propriété, mais il y a des frais de mutation à prévoir. Et s’il ne lui cède pas de droits de propriété, il vaut mieux alors qu’elle se constitue un patrimoine de son côté.

Avec l’Association des Femmes Française Juristes (AFFJ), dont je fais partie, on réfléchit actuellement à la création d’un atelier sur les violences économiques dans les couples et je trouve qu’il serait nécessaire de donner des cours dans les collèges et lycées pour expliquer comment fonctionnent les finances dans un couple. C’est en train de changer mais quand il y a séparation et qu’il n’y a pas de mariage, les femmes sont très souvent plus lésées que les hommes. Je vais faire des petites fiches pour expliquer pourquoi il ne faut pas que Madame paye l’électricité et l’alimentation quand Monsieur paye le crédit de la maison.

Et du côté des enfants ? 

À partir d’environ 12 ans, il est possible de demander aux enfants ou ils préfèrent vivre et de faire droit à leur choix. Tout en étant vigilant à ne surtout pas les couper de leur fratrie, ni de l’un des deux parents. J’ai vu des décisions de justice qui exigeaient qu’un enfant de 16 ans aille la moitié du temps chez sa mère, la moitié du temps chez son père. S’il ne veut pas, on ne va pas le forcer, il a 16 ans… Aujourd’hui, les Juges entendent beaucoup plus les enfants qu’avant. Il y a un article de loi qui prévoit que les enfants doués de discernement (dès 7 ans environ) peuvent être entendus par le Juge s’ils le souhaitent (Art. 388-1 C.civ.). Le but ce n’est pas que les enfants aillent au Tribunal évidemment. Pour autant, parfois, ils peuvent avoir envie de choisir là où ils ont envie de vivre. Ils rencontrent alors le ou la magistrate et son ou sa greffière  et peuvent être assistés d’un avocat d’enfant. Il suffit d’en faire la demande auprès de l’Antenne des mineurs. Il y en a une dans chaque Tribunal et les frais d’Avocat sont entièrement pris en charge par l’Etat. Quelques jours avant de rencontrer le Juge, ils rencontrent leur avocat·e, aucun des deux parents n’est présent, ni avec l’avocat·e, ni avec le ou la Juge et je trouve ça bien que ce soit possible quand les enfants le demandent.

Dans toute séparation il faut cicatriser, du côté des enfants aussi, pour accepter la séparation, le nouveau mode de vie et accepter qu’un de leur parent puisse refaire sa vie. Ça prend aussi du temps pour les parents, que chacun et chacune trouve ses marques et sa place. En Droit de la famille, tout est possible. C’est la beauté de cette matière. On peut faire du « sur-mesure » et cela me donne de l’espoir. 


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